aoc.media/analyse/2023/01/24/le-rapport-meadows-ou-les-limites-des-limites-de-la-croissance/
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Victoire à la Pyrrhus, le document commandé par le Club de Rome apparaît pourtant un simple pot-pourri des éléments les plus consensuels de l’écologie de l’époque, réorientée vers une « écologie scientifique » à visée néo-impérialiste, et signe une défaite de l’écologie politique, celle de Bookchin et d’André Gorz.
Le climato-scepticisme avait la peau dure, les pouvoirs publics, l’industrie et une bonne partie des intellectuels (que l’on pense en France au brûlot commis par Luc Ferry en 1992, par exemple[2]) restaient sourds, et l’opinion publique, timide.
L’ONU crée la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement en 1983, le GIEC est créé en 1988, 1992 est aussi l’année du sommet de Rio, qui popularise la notion de développement durable, issue des travaux de la commission onusienne[3], fixe un cap, et donne naissance à la Conference of Parties (COP), dont la vingt-et-unième a, en 2015, produit le fameux « Accord de Paris », fixant, pour la première fois, des objectifs juridiquement contraignants.
Ce récit est devenu une telle évidence que toute critique du rapport Meadows, et surtout des conditions de sa production, est devenue une manière efficace d’être taxé de climato-sceptique. Aussi efficace que de douter du discours « effondriste » ou de l’impact écologique positif de la plupart des mesures techniques mises en œuvre à l’échelle industrielle.
« La première réaction, chez beaucoup d’entre nous (les écologistes), était jubilante : enfin, le capitalisme avouait ses crimes » (André Gorz[4]).
« Enfin », parce que ces « crimes » étaient largement connus, et la conscience écologique n’a absolument pas attendu le rapport Meadows. Les quatre auteurs du rapport de 1972 étaient-ils des « visionnaires », ou les porte-parole d’un « aveu » déjà tardif ?
Si René Dumont, agronome et premier candidat écologiste à la présidentielle française en 1974, est un converti tardif[5], le botaniste Roger Heim publie, en 1952 déjà, Destruction et protection de la nature, qui eut un réel écho.
Mai 68 donna un écho considérable à ce discours. En 1971, la France crée son Ministère de l’environnement.
La crainte de la bombe atomique s’élargit, dès les années 50, à une conscience aiguë de l’impact technologique sur la planète. Murray Bookchin et d’autres multiplient les alertes, les interventions et les rapports sur toutes les formes de pollution et de destruction de l’environnement.
Et le début des années 60 voit les publications majeures se multiplier : The Waste Makers, en 1960, de l’économiste et sociologue Vance Packard (traduit en français en 1962), Our Synthetic Environment, de Murray Bookchin, en 1962, et surtout, en 1962 toujours, le best-seller de la biologiste Rachel Carson, Silent Spring, tout de suite traduit dans de multiples langues (en français, dès 1963).
À tout cela s’ajoute une résistance précoce d’économistes de tout premier plan : ainsi Arthur C. Pigou, économiste britannique du Welfare, élabore, dès le début des années 50, des modèles économiques de taxation de la pollution, et Karl W. Kapp, économiste allemand, propose, lui aussi au début des années 50, des modèles économiques élaborés pour inclure le coût social et environnemental de la croissance dans son évaluation. Ce ne sont ni des cas isolés ni des économistes de second plan.
The Cost of Economic Growth (1967), de Ezra J. Mishan, membre de la très influente London School of Economics – une synthèse de dix années de travail balisant tous les arguments anti-croissance des années qui suivirent et reposant sur une extension de la notion de coût à toutes les conséquences, humaines et environnementales, de l’activité économique.
Le rapport Meadows arrive donc au cours d’une bataille déjà largement engagée, et la question reste entière de savoir ce qu’il y a signifié. Car, second point, le rapport Meadows n’était pas du tout le fait de quelques visionnaires, mais constituait à la fois une reconnaissance et une confiscation.
Quelques puissants décideurs, dont la fondation Rockfeller, composant le très conservateur Club de Rome, commandent aux ingénieurs du MIT un rapport sur l’impact climatique de l’activité humaine : le rapport Meadows est la réponse à cette commande.
Ce qui impliquait la production de biens plus durables, le recyclage et la réduction des gaspillages (déjà le b.a.-ba des revendications écologistes), mais aussi le développement accéléré de l’économie « immatérielle » – incluant notamment la marchandisation plus poussée des biens et services jusque-là non marchands, pour compenser les « pertes » industrielles.
Le tout appuyé sur des chiffres et des modèles dont beaucoup ont été immédiatement critiqués (y compris et surtout par ceux qui en validaient pourtant les constats[8]) et sur une expertise guère supérieure à celle de nombreuses études déjà disponibles[9].
Quel écho de l’ébullition écologiste évoquée plus haut dans le rapport Meadows ? Rien sur le changement d’échelle des unités de production. Rien sur la réorientation technologique vers des procédés plus maîtrisables à échelle humaine. Rien sur les critiques de la société de consommation, occultant structurellement toute réflexion sur la production des marchandises et la réalité des besoins humains. Presque rien sur la redynamisation du monde rural. Donc rien sur ce qui faisait déjà le cœur de la réflexion écologiste la plus avancée. Mais, à la place, une ambiguë promotion de l’économie « immatérielle ».
On connaît la suite : la résistance des industries pétrolières et la « révolution » numérique, qui a montré qu’économie « immatérielle » rimait en réalité avec nouvel extractivisme, toujours plus destructeur, mais « pas chez nous », invisibilisé.
« Quand le rapport Meadows envisage le triplement de la production industrielle mondiale, tout en recommandant sa non-croissance dans les pays industrialisés, n’est-ce pas à (une) vision néo-impérialiste de l’avenir qu’il se réfère implicitement ?[10] » Laquelle ? Eh bien la localisation des productions polluantes – et pas seulement l’extraction – dans les pays dits, à l’époque, du « Tiers-monde ».
Que s’est-il passé en 1972 ? Il faut je crois faire un détour par 1992 pour le comprendre, et par l’« appel de Heidelberg » qui entourait le sommet de Rio : ce texte, écrit par Michel Salomon et signé par près de 4 000 scientifiques dont 72 prix Nobel (plusieurs signataires l’ont regretté ensuite…), s’inquiétait alors de « l’émergence d’une idéologie irrationnelle qui s’oppose au progrès scientifique et industriel et nuit au développement économique et social ». On sait aujourd’hui qu’il fut commandité par l’industrie de l’amiante[11].
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